L'aveugle et le banyan
I
Sous les feux violents d’un midi pacifique,
Corps à même la sèche écorce d’un ficus
-Une baleine en bois, un banyan magnifique-
Aveugle, tu t’endors aux ors que tu vécus.
Tonitruant azur, sa source jaunifique
S’étoile en mille rus et les fleurs d’hibiscus
Sont autant de rubis quand l’image nymphique
Se livre à ton esprit vengeant tes yeux vaincus :
La sève dans le sang, les veines aux lianes,
Tes doigts touchent les mains de muses océanes
Qui promènent ton cœur près du frangipanier,
Couchent tes os lassés sous le ciel d’une hutte
Aux nuages rosés, le canaque vannier
Tresse un fil de lumière à ton âme et sa chute.
II
Sa chute dans un creek au pied du Mont Panié,
Au Tropique du Capricorne,
Sur un rocher sacré dont l’île de Kunié
Comme un des plus beaux bijoux s’orne,
Sa chute dans la mine ouverte de nickel
Ou plus au sud, auprès du chrome,
Dans l’eau rouge et salie au riyal, au shekel,
A l’absurdité de l’âcre homme ?
III
L’âme et la chute, -chut ! à Dante,
L’aveugle à la vue ascendante
Pêche sur les eaux de Yaté
A bord d’un coracle natté
La perche et son épine ardente,
Sur les plages de Plum, il chante
La passe, le pertuis, la sente,
A celui qui sait l’écouter,
Aime se laisser envoûter
Au gré d’un parfum qui le hante :
Une odeur de coprah mêlée
A l’humeur douce et vanillée
Que juste un trait de goménol
Excite, élève d’un bémol
Vers une caresse exilée
Dans le fût d’un pin colonnaire
Qu’illumine un rouge lunaire.
Sur un versant du Mont Koghi,
L’aveugle est dans l’œil du cagou
Qu’abrite un banyan millénaire
Porté par un océan qui
Par-delà la barrière, cou,
Lui tranche le goût d’éphémère.